Quand "Mein Kampf" paraissait en français

70 ans après la mort de son auteur, les droits de "Mein Kampf" de Adolf Hitler tombent vendredi dans le domaine public. En Allemagne, une édition commentée de 1900 pages préparée par des historiens de Munich va sortir.

Le pamphlet nazi avait été d'abord un succès en Allemagne surtout à partir de 1933 avec douze millions d'exemplaires vendus jusqu'en 1945. A ce tirage s'ajoute un million d'exemplaires dans des langues étrangères dont le français. Retour une version que le régime nazi ne voulait pas.

 

 

Si une traduction légale de « Mein Kampf » -expurgée- avait été publiée après l’arrivée au pouvoir de Hitler en anglais et en italien, le régime nazi ne souhaitait pas en commercialiser une en France. Il est vrai que les écrits de Hitler très violents contre ses voisins n’auraient pas forcément été appréciés dans l’hexagone. On peut y lire par exemple : « La destruction de la France ne constitue qu’un moyen pour ensuite offrir à notre peuple l’espace dont il a besoin ».
L’ambassadeur français à Berlin André François-Poncet souligne dans des notes l’antisémitisme viscéral de l’auteur et les dangers qui y sont liés mais il n’est pas écouté. Il apprend en juin 1933 du secrétaire d’Etat au ministère de la Propagande de Goebbels qu’une version expurgée en français de « Mein Kampf » serait à l’étude. Mais Hitler s’oppose au projet. A l’automne de la même année, la maison d’édition allemande Eher revient à l’assaut après la publication en France de l’ouvrage « Hitler par lui-même d’après son livre Mein Kampf » qui donnerait une image faussée du Führer. Mais ce livre qui constitue une production propre n’est pas juridiquement attaquable.
Il est en autrement d’une traduction du livre original qui parait à Paris au printemps 1934 de façon illégale. Un jeune éditeur d’extrême-droite Fernand Sorlot veut faire connaître à un grand public le contenu francophobe des écrits de Hitler. Il obtient même le soutien pour son projet de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA). Pour contourner l’absence de droits, il argumente en présentant « Mein Kampf » comme un programme politique et non comme une œuvre littéraire protégée.
La maison d’édition allemande Eher s’empresse d’envoyer un avocat francophone à Paris. Hitler demande à son ambassadeur sur place de protester auprès du Quai d’Orsay. La situation juridique est assez claire et Eher gagne son procès en juin 1934. Les dommages et intérêts sont fixés à un franc symbolique. Le tribunal estime que l’affaire constitue une campagne de publicité gratuite pour l’éditeur allemand s’il devait se décider à publier lui-même une traduction cette fois légale de « Mein Kampf ». Les exemplaires de la version illégale sont saisis à l’exception des 5000 d’entre eux que la LICA avait pré-achetés et qui seront ensuite envoyés à des multiplicateurs.
En octobre 1934, des perquisitions ont lieu dans deux librairies parisiennes pour saisir d’autres exemplaires de cette traduction illégale. Les jeunes socialistes en publieront plus tard des extraits dans une brochure. Faute d’une maison d’édition en bonne et due forme qui pourrait être attaquée en justice, les autorités allemandes ont les mains liées.
Une traduction autorisée de « Mein Kampf » parait finalement en 1938 en français sous le titre « Ma doctrine ». Mais l’ouvrage n’a pas grand-chose à voir avec l’original car il intègre de nombreuses citations de discours ultérieurs de Hitler. De nombreux excès rhétoriques contre la France ont été supprimés ou atténués. Ceux ouvertement antisémites sont certes moins nombreux que dans la version originale de « Mein Kampf » mais tout aussi violents.

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