Premier mythe: les Allemands n'ont pas inventé et réalisé en premier des autoroutes. Des tronçons qui y ressemblaient sont créés dès avant la première guerre mondiale aux Etats-Unis.
Certes le dernier Kronprinz Frédéric-Guillaume avait eu l'idée dès 1904 de créer une route réservée aux voitures à travers la forêt de Grunewald à Berlin. Mais l'AVUS, ouverte en 1921 et toujours en service était à l'époque une voie payante pour des courses de voitures.
L'AVUS à Berlin en 1925
Dans les années vingt, les Italiens prennent les devants avec une liaison à deux voies seulement entre Milan et Varese puis à quatre voies entre Rome et Naples et Rome et Florence.
Entre 1925 et 1927, le dictateur cubain Gerardo Machado construit sur le modèle des Etats-Unis une route à quatre voies entre La Havane et Taguasco surtout conçue pour permettre aux barons du sucre de transporter leur marchandise.
Deuxième mythe que la date de l'inauguration de l'autoroute entre Cologne et Bonn dément, celui des autoroutes inventées par les nazis. Konrad Adenauer, le maire de Cologne, est à l'initiative de ce projet. La route nationale entre les deux villes au bord du Rhin est à l'époque la plus fréquentée d'Allemagne. D'où l'idée de construire une route réservée aux voitures. Mais les financements publics ne sont pas au rendez-vous. D'abord les résistances de principe sont importantes. Les propriétaires de voitures constituent encore à l'époque une petite minorité aisée. Pourquoi les pouvoirs publics devraient-ils dépenser de l'argent pour eux? Le parti nazi comme les autres est opposé au projet. Et la crise de 29 ruine un peu plus les espoirs d'un tel financement.
A l'arrivée, les vingt kilomètres entre Cologne et Bonn sont avant tout un énorme chantier permettant d'employer les nombreux chômeurs de cette période de crise. Près de la moitié des coûts seront d'ailleurs supportés par les services d'indemnisation des chômeurs. L'utilisation d'engins est interdite pour pouvoir utiliser le plus de main d'oeuvre possible. 5500 ouvriers doivent déplacer 700.000 mètres cube de terre armés de pelles et de pioches.
A l'arrivée, l'autoroute entre Cologne et Bonn ressemble beaucoup à ce que nous connaissons aujourd'hui avec des bandes d'arrêt d'urgence, des glissières de sécurité (à droite seulement) et même des éclairages. En revanche, pas de séparation au centre de la chaussée ce qui pousse des conducteurs pressés à doubler sur les voies opposées. La vitesse maximale prévue est de 120 kilomètres heure même si la plupart des véhicules à cette époque en sont encore bien loin.
Septembre 1933: Hitler qui hait pourtant les exercices physiques et n'a pas de permis de conduire donne un premier coup de pelle pour un nouveau projet d'autoroute.
Après la transmission du pouvoir à Hitler début 1933, les Nazis qui étaient auparavant opposés aux autoroutes opèrent un virage à 180 degrés. La propagande du régime réécrit l'histoire et veut faire croire que Hitler avait eu l'idée géniale de construire des autoroutes à travers le Reich durant son emprisonnement en 1923.
Le 11 février 1933, Hitler annonce lors de la foire automobile de Berlin de grands projets autoroutiers. Le premier coup de pelle ci-dessus a lieu quelques mois plus tard. Pour que le Führer puisse s'enorguellir d'être le créateur des autoroutes, le tronçon Cologne-Bonn inauguré l'année précédente par Adenauer perd son statut et redevient une vulgaire route nationale. Le nouveau régime omet également de préciser qu'un plan prévoyant un réseau de 22.000 kilomètres d'autoroutes datait de la seconde moitié des années vingt.
Les autoroutes sont utilisées par les Nazis pour leur propagande.
Mais le mythe des autoroutes nazies s'installe durablement. Pour beaucoup d'Allemands à l'époque et ultérieurement, leur réalisation va de pair avec la baisse du chômage dont est crédité le système nazi. Les historiens relativisent cette perception soulignant que le réarmement de l'Allemagne et la reprise de la conjoncture après la crise de 1929 ont contribué à réduire un chômage massif.
Le réseau autoroutier sous Hitler reste par ailleurs constitué de nombreux tronçons autonomes. C'est seulement après la guerre lorsque l'ancien maire de Cologne écarté par les Nazis, le chrétien-démocrate Konrad Adenauer reviendra aux affaires cette fois à Bonn dans la capitale de la nouvelle RFA qu'un réseau digne de ce nom verra le jour. Aujourd'hui, l'Allemagne après la réunification compte 13.000 kilomètres d'autoroutes soit 6% de toutes les routes principales. Mais elles accueuillent un tiers du trafic global.
"German Autobahn": même en anglais une référence, synonyme de liberté et d'absence de limites de vitesse.
Il y a quelques années dans une série de chroniques demandées à des correspondants étrangers travaillant en Allemagne, un collègue japonais s'était enflammé pour les autoroutes. Pour l'amateur de voitures et surtout de bolides, elles restent synonymes de liberté, sans limitations de vitesse et autres péages.
Là aussi, le mythe a ses limites. D'abord il existe des limitations de vitesse sur certains tronçons avant tout pour des raisons de sécurité. Ensuite, rouler vite en Allemagne n'est pas aussi simple. Dans ce pays de transit au coeur de l'Europe, la voie de droite des autoroutes est dans les faits encombrée de poids lourds. Et quand il n'en reste qu'une pour toutes les voitures des Porsche aux Trabant, pas évident d'y faire des pointes à la Schumacher.
Il n'empêche malgré la réalité plus prosaîque, le mythe "Autobahn" demeure. Il a même été immortalisé dans les années 70 par le groupe allemand Kraftwerk qui a réussi à l'époque avec son tube à se faire une place dans les hit parades américains.
Kraftwerk "Autobahn" vimeo.com/22151359
3 Comments
C'est marrant quand même, Kraftwerk a fait plusieurs versions de sa chanson (http://www.biere-berlin-et-rocknroll.com/la-chanson-du-jour-kraftwerk-autobahn/)
je confirme très bien documenté, et qui lutte contre les idées reçues :D
Article extrêmement intéréssant, bien écrit et documenté. Merci.
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