Allemagne-Turquie: satire et diplomatie font mauvais ménage

Le président turc n'est pas connu pour son humour débordant, surtout lorsqu'il en est la victime. Sur ses terres, il sait comment y mettre rapidement fin. A l'étranger, c'est plus difficile, même si Ankara pense que les méthodes utilisées en Turquie pour faire taire les gêneurs peuvent et doivent s'appliquer ailleurs.

Mais avec le rôle central joué par Ankara pour reprendre les réfugiés arrivés sur les îles grecques, Erdogan dispose d'un moyen de pression efficace contre Berlin bien embarassé. 

Jan Böhmermann est une star montante de la télévision allemande. Le trentenaire est connu pour son humour décapant dans ses émissions et ses videos qui défraient la chronique. On se rappelle notamment celle qu'il avait réalisée l'an dernier sur l'ex-ministre des Finances grec Varoufakis  https://www.youtube.com/watch?v=Afl9WFGJE0M (en anglais). 

La diffusion par une autre émission satirique xtra3 d'une chanson parodique sur Erdogan inspirée d'un hit de la chanteuse Nena http://www.youtube.com/watch?v=nMOtrSQB2xA (avec sous-titres en anglais) avait déjà provoqué l'ire d'Ankara et valu deux convocations de l'ambassadeur allemand sur place. Mais Berlin n'avait pas bougé soulignant que la liberté de la presse était intangible.

Dans son émission, Jan Böhmermann est allé plus loin et a voulu montrer qu'elles étaient les vraies limites entre satire et diffamation. Dans un poème lu à l'antenne, il a traité Erdogan de tous les noms évoquant par exemple des rapports sexuels du président turc avec des chèvres. La chaîne publique ZDF réagit rapidement et retire la video de sa médiathèque consciente des poursuites pénales qu'elle encourt. 

Il y a une semaine, le porte-parole d'Angela Merke faisait une déclaration hors du commun en affirmant que dans une conversation téléphonique avec Erdogan, la chancelière avait qualifié le texte de Böhmermann de "volontairement blessant". Une prise de position inhabituelle perçue comme une atteinte à la liberté de la presse et traduisant la volonté de Berlin de ne pas déplaire au sultant turc à l'heure où celui-ci est un partenaire inconfortable mais indispensable dans la crise migratoire actuelle. 

Ankara ne compte pas se satisfaire de cette prise de distance du gouvernement allemand mais exige des poursuites contre Jan BÖhmermann. Le droit pénal allemand prévoit qu'un pays étranger peut faire une telle demande sous certaines conditions si des propos insultants ou diffamatoires ont été tenus contre un de ses responsables. Le gouvernement allemand doit décider si la justice entame des procédures. Une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans ferme est prévue par le code pénal. 

Des juristes de la chancellerie, du ministère de la Justice et du ministère des Affaires étrangères doivent maintenant se creuser la tête pour trouver une réponse permettant aux parties prenantes de ne pas perdre la face. Si Berlin accepte des poursuites contre jan Böhmermann, Angela Merkel sera accusée d'avoir plié devant Erdogan alors que les sondages montrent le peu de sympathie dont l'intéréssé benéficie en Allemagne et le scepticisme des Allemands à l'égard de l'accord sur les réfugiés. Si Berlin dit "Nein", Ankara ne va pas apprécier et pourrait menacer le gouvernement allemand de revoir son soutien à l'accord UE-Turquie sur les réfugiés.

Prudemment, ce lundi, le porte-parole d'Angela Merkel a tenu à préciser ses déclarations de la semaine dernière en insistant cette fois moins sur la critique contre l'auteur d'une satire limite mais sur la nécessaire défense de la liberté d'expression. 

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