A Berlin: "Mort aux Souabes"

Les Souabes n'ont pas, hors de leur région, dans le Sud-Ouest de l'Allemagne, la meilleure réputation. Certes, ils sont travailleurs comme en témoigne la bonne santé de leurs entreprises. Mais pour beaucoup d'Allemands, ils sont des pingres pédants, flanqués d'un accent mal dégrossi et des petits-bourgeois trop soucieux de la propreté. 

A Berlin qui est tout l'inverse de cela, les Souabes sont depuis longtemps le synonyme de ces Allemands de l'Ouest aux mentalités étriquées qui viendraient rendre la capitale sauvage et alternative plus policée. Un véritable chiffon rouge pour d'autres Berlinois qui ont pour seul mérite d'être arrivés un peu plus tôt de leur province profonde. 

Dernièrement, le graffiti ci-dessous "mort aux Souabes" dans le quartier yuppie de Prenzlauer Berg où se concentre la polémique a défrayé la chronique. Il y a quelques jours s'ouvrait le procès d'un livreur de journaux qui au moment de son arrestation affirmait ne pas supporter les Souabes. Disposant des clés de nombreux immeubles, il avait incendié des poussettes garées près des boites aux lettres.

Les chiffres démentent pourtant le sentiment ambiant. Les Souabes ne constituent pas à Berlin la minorité made in West-Germany la plus importante. Mais ce sont eux qui trinquent pour les autres. "Schwaben raus-les Souabes dehors": le slogan a déjà fleuri avec des versions diverses dans le quartier de Prenzlauer Berg. On a déjà pu y lire "you are entering the schwäbisch zone", un clin d'oeil aux panneaux qui autrefois fleurissaient entre les secteurs alliées de la ville divisée durant la guerre froide.

Avant la chute du mur, mal en point car délaissé par le régime, Prenzlauer Berg abritait une populaiton mélangée : des ouvriers, des employés et des intellectuels et une bonne partie de la bohême est-allemande qui menait sa propre vie à l'ombre du mur infiltrée par la police secrète. 

Cette photo que j'y ai prise il y a plus de vingt ans -et encore ce jour là il faisait soleil- témoigne de l'état de décrépitude avancée d'un quartier délaissé au profit des grands ensembles du socialisme réel. Les habitants bien propres sur eux d'aujourd'hui et les touristes éblouis par des façades toutes ravalées ne peuvent plus s'imaginer à quoi ressemblait Prenzlauer Berg à l'époque, avec ses façades lépreuses, ses poëles au charbon nauséabonds, les douches bricolées et les toilettes sur le palier. 

Depuis vingt ans, un énorme changement de population s'est produit dans le quartier. Beaucoup des habitants d'autrefois sont partis pour construire une maison en périphérie ou incapables de payer un loyer devenu trop élevé. Les appartements chics dans une zone dotée d'une densité impressionnante de cafés, bars, restaurants et autres magasins bio ont pris le dessus. En vieillissant, les ex-étudiants d'autrefois poussant des poussettes chic ne font plus aujourd'hui les yeux doux aux lieux alternatifs qui ont bercé leur jeunesse et fondé la réputation du quartier. 

Les nombreux squats qu'on trouvait dans le quartier après la chute du mur ont été légalisés ou ont disparu. La Kastanienallee (ci-dessus) a été rebaptisée "Casting Allee" avec les éternels étudiants et autres pseudo-starlettes qui y sirotent des heures durant des Latte Macchiato à la terrasse de cafés branchés leur ordinateur portable sur les genoux. 

Les clubs dérangent aujourd'hui une population rangée des voitures qui se plaint du bruit. Les victimes préférent abandonner un combat perdu d'avance et déménager dans des quartiers plus accueuillants. Prenzlauer Berg s'homogénéise et s'aseptise. Ces derniers jours, un think tank de Guggenheim réfléchissant sur le développement urbain a renoncé à s'installer à Prenzlauer Berg et choisit le quartier multiculturel et plus alternatif de Kreuzberg.

Pour ceux qui s'opposent à ce processus, les Souabes sont des "Super-Wesssis" (le surnom donné aux Allemands de l'Ouest) et des "Proto-Yuppies", les prototypes des bourgeois bohême. 

Sur ce panneau indicateur, quelqu'un a rajouté en haut à droite un autocollant "Welcome to Schwabylon", un jeu de mots allemand entre "Schwaben-Souabe" et "Babylon"

 

D'autres affiches étaient moins sympathiques :"Les Souabes à Prenzlauer Berg: petit-bourgeois, mentalité de flics, aucun sens pour la culture berlinoise. Qu'est-ce-que vous venez foutre ici?"

Autre dérive pour les voix critiques, l'invasion infantile à "Pregnancy Hill" surnom donné au quartier en raison des nombreux enfants (même si les statistiques corrigent l'impression communément répandue). Un très sérieux journaliste du quotidien de centre-gauche "Süddeutsche Zeitung" de Munich a même parlé de "fascisme infantil" pour évoquer la "tyrannie" qu'imposeraient les enfants dans le quartier. Un livre intitulé "Je suis une mère, laissez moi passer" a dénoncé sur un mode satirique le côté "rouleau compresseur" de ces mères germaniques dont les poussettes constituent pour ce "Blitzkrieg" d'un nouveau genre l'arme redoutable. 

 

Pour les germanophones, le livre polémique de Anja Maier.

 

 

 

 

 

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5 Comments

Stupéfiant. Encore un peuple inventé , ou réinventé pour pouvoir haïr.

Français, je ne comprenais rien et m'étonnait de la chute du conte de Grimm "les 7 Souabes" qui est : il en coûtera 2 sols à qui ne croirait pas cette histoire. Mes amis allemands m'ont expliqué que c'était pour railler les Souabes, tellement bêtes qu'ils préféreraient croire cette histoire plutôt que de payer 2 sols. Ceci ne paraît pas dans votre propos ! Ou bien, ne paraît que trop ! Merci. Cordialement. GM.

À vrai dire, les touristes sont eux aussi de plus en plus mal vus. Il vaut mieux éviter de parler français / anglais / espagnol etc. pour entrer dans les clubs à Kreuzberg ou Neukölln.

Donc, les vieux berlinois ont besoin de ces "Souabes" pour réaffirmer leur identité. D'où souligner le contraste, même si on en fait un peu trop...

Tempête dans un verre d'eau...

Pff! Ca passera...

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