Dans son dernier numéro, le magazine "Emma", l'organe central du féminisme allemand, lançait un appel exigeant des règles plus strictes pour encadrer ce que les auteurs appellent "le paradis du sexe" à savoir l'Allemagne. A moyen terme, ils réclament une interdiction de la prostitution. 

L'appel d'Emma signé par des personnalité du monde culturel et politique a suscité un vaste débat. Il a été accompagné de la publication d'un livre présenté par Alice Schwarzer, la directrice de la revue et icone du féminisme germanique "Prostituion-Un scandale allemand". Sous-titre est "Comment avons-nous pu devenir un paradis pour la traite des femmes ?" 

Alice Schwarzer tire à boulets rouges contre la loi de 2002 adoptée à l'époque par la majorité de gauche associant sociaux-démocrates et écologistes. Le texte poursuivait une vision pragmatique : donner des droits aux prostituées contre leurs clients (pour réclamer leur argent par exemple) ou leurs employeurs et leur permettre une reconnaissance sociale avec une couverture médicale. La prostitution qui était déjà légale en Allemagne, contrairement à ce qui est souvent affirmé, restait "contraire aux bonnes moeurs". Ce dernier critère disparait. 

Pour Alice Schwarzer et ses soutiens, cette nouvelle loi n'a pas améliorié la situation des femmes concernées mais a surtout permis à la commercialisation de ce "secteur" de gagner du terrain en raison de la disparition de restrictions sur sa promotion et son organisation. 

Alice Schwarzer et Simone de Beauvoir en 1971 à Paris lorsque la féministe allemande vivait en France comme correspondante. Elle a été très marquée par le mouvement de libération des femmes, le MLF.

Les critiques contre la loi de 2002 concernent le développement de bordels géants en Allemagne où les clients moyennant un forfait peuvent "se dépenser" sans compter. Mais aussi à la présence qui serait massive de femmes d'origine étrangère surtout de Bulgares et de Roumaines. Alice Schwarzer parle de 90% de femmes issues de ces pays parmi les quelques centaines de milliers de prostituées que compterait l'Allemagne, autant de chiffres invérifiables comme celui du chiffre d'affaires annuel estimé par un syndicat à 14 milliards d'Euros. 

Les "travailleuses du sexe", comme elles s'appellent elles mêmes, rejettent catégoriquement les critiques d'Alice Schwarzer. Elles dénoncent la volonté de nuire à une profession pour elles "normale". Ces femmes qui prennent la parole sont des Allemandes exerçant en général leurs activités de façon indépendante. Elles récusent les chiffres sur la présence massive d'étrangères qui seraient exploitées. Elles ont manifesté leur colère lors de la présentation la semaine dernière du livre d'Alice Schwarzer à Berlin. 

"Ferme là Alice-Mon métier m'appartient"

L'écho rencontré par l'appel d'Alice Schwarzer qui n'a pas été lancé par hasard au moment où le futur gouvernement allemand se constitue et pourrait avoir des conséquences politiques. Alors que des critiques étaient émises depuis plusieurs émises contre la loi libérale de 2002, aucun changement sensible n'était intervenu. Le débat actuel a contribué à ce que la prostitution soit évoquée dans les négociations entre chrétiens et sociaux-démocrates. 

Des dispositions plus contraignantes pourraient être adoptées comme une lutte contre la prostitution forcée et le commerce humain, des contrôles plus stricts pour l'ouverture et la gestion des bordels ou encore l'octroi de titres de séjours à des femmes étrangères victimes de proxénètes.