La réunification est-elle soluble dans la bière?

Fédéralisme oblige, c'est chaque année une des seize régions allemandes qui abrite les cérémonies de la fête nationale le 3 octobre. Aujourd'hui, la Bavière célèbre donc la réunification, 22 ans après son entrée en vigueur et ce en pleine fête de la bière à Munich. 

La bière, c'est une évidence, constitue un point commun à tous les Allemands, de l'Est (Ossis) comme de l'Ouest (Wessis). Mais le breuvage national suffit-il, même avec des verres d'un litre comme à la fête de la bière, à faire oublier les différences psychologiques et matérielles qui subsistent? 

22 ans de réunification, c'est aussi 22 ans d'Allemagne pour moi. Je me rappelle les cérémonies du 3 octobre 1990 que j'étais venu couvrir pour le quotidien "La Croix". L'article paru le lendemain s'intitulait "la kermesse de l'unité" pour évoquer des cérémonies émouvantes mais bon enfant au pied de la porte de Brandebourg et du Reichstag à Berlin. 

22 ans, ce sont aussi beaucoup de rencontres et de petites phrases sur les états d'âme ou l'Etat d'âmes des Allemands. Cette amie est-allemande, une institutrice, qui m'hébergea quelques jours lors de mon installation à Berlin fin octobre 1990 et pour qui il était inconcevable de vivre à l'Ouest. Une réflexion souvent entendue de la part de Berlinois de l'Est pour qui au-delà de quelques incursions, découvertes et autres emplettes, la partie occidentale de leur nouvelle capitale restait une zone où ils ne se sentaient pas à l'aise. 

La une légendaire du magazine satirique ouest-allemand "Titanic", pourtant plutôt à gauche, en 1990 sur la première banane de la jeune Allemande de l'Est Gaby... traduit bien le complexe de supériorité plus ou moins affirmé ou verbalisé de nombreux Wessis. 

Un investisseur français me cita lors d'une rencontre la remarque significative -même si elle était outrancière- d'un concurrent ouest-allemand intéressé par la même entreprise qui devait être privatisée à l'Est : "Lorsque vous étiez en Algérie, nous vous avons laissé tranquilles. Laissez nous faire nos affaires ici". 

Ces premières années sont marquées par le développement de nombreux ressentiments après l'euphorie de la chute du mur et de la réunification. D'un côté, des Ossis abasourdis par le rouleau compresseur de l'Ouest qui les emporte, qui du jour au lendemain doivent ingurgiter des milliers de nouvelles règles... et se retrouvent massivement au chômage après l'échec patent du modèle économique est-allemand. 

De l'autre, des Wessis qui avaient cru les propos d'Helmut Kohl promettant pour bientôt des "paysages florissants" qui se transformaient en gouffre financier -2000 milliards d'Euros environ de transferts d'Ouest en Est depuis 1990. Les mêmes Wessis qui ne comprenaient pas les déceptions de leurs frères ou cousins développant avec le temps une nostalgie, sinon pour la défunte RDA; en tout cas pour certains de ces aspects comme la sécurité de l'emploi. 

A gauche Walter Ulbricht, le dirigeant de la RDA de l'époque déclarant peu avant la construction du mur en 1961 : "Personne n'a l'intention de construire un mur"
A droite aujourdhui un Allemand, un mur planté dans la tête : "Certains n'ont pas l'intention de supprimer le mur dans les têtes"

Certes, les choses sont moins drastiques que dans les années 90. Mais le sondage paru mardi dans "Bild Zeitung" montre que les trois quarts des Allemands relèvent toujours des différences de mentalités entre l'Est et l'Ouest. 

Sur le terrain, les différences sont remarquables. Comparées à des communes au bord de la faillite du bassin de la Ruhr, le moindre petit village à l'Est est pimpant avec des façades rénovées, des trottoirs et des routes refaites, des infrastructures plus modernes. On est passé du 22 à Asnières au 21ème siècle là où certaines régions de l'Ouest en difficulté et parfois jalouses conservent le charme plus que désuet de la reconstruction de l'après-guerre.

Mais ces façades proprettes rappellent parfois les faux ordinateurs qu'on présentait lors de la foire de Leipzig au dirigeant est-allemand Erich Honecker. Dans un corps lifté, le sang manque. Comme ces villages du Brandebourg, la région entourant Berlin, où quelques vieillards accoudés à leurs fenêtres appuyés sur un coussin à fleurs regardent les voitures qui passent. Et même dans des coulisses plus pompeuses comme dans ce bijou du baroque non détruit pendant la guerre qu'est la ville de Görlitz à la frontière germano-polonaise, des anti-dépresseurs ne sont pas inutiles. 

Bien sûr, il en va autrement dans les grandes villes comme Dresde ou Leipzig qui ont attiré de grandes entreprises, qui sont plus dynamiques, où des trésors culturels et des universités mieux équipées qu'à l'Ouest séduisent une population plus jeune. 

Dresde à la fin de la guerre et aujourd'hui ci-dessous

L'ex-RDA aujourd'hui c'est un gros gruyère avec des noyaux durs plus florissants et des zones dépeuplées à la traine. Le chômage y est de 10% contre 6.5% à l'Ouest. La productivité et le PIB par habitant représentent environ les trois quarts de ceux de l'ex-RFA. Les salaires et les retraites y sont inférieurs. Et quand la croissance se ralentit comme cette année, le retard tend de nouveau à se creuser.

Restent des atouts : des centres de recherche et des universités bien équipés et de qualité, une meilleure prise en charge des enfants avec des crêches sensiblement plus nombreuses pour faciliter le travail des femmes, des collectivités locales peu endettées.

 

 

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1 Comments

je viens de découvrir votre blog , vraiment ravis...heu, j'ajouterai juste que le contraste entre les deux allemagne apparait très bien dans le film, "la vie des autres"...on voit bien qu'àpres la réunification, et l'entrée définitive du capitalisme, la ville se transforme positivement, mais aussi négativement...plus de salleté, des murs ostentant des dessins artisques pas toujours aggréables, etc.

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