Quelques jours plus tôt, les Berlinois ont commémoré le premier anniversaire de la construction mur qui sépare désormais leur ville. Depuis un an, les tentatives de fuites d'Est en Ouest se multiplient. La police recense déjà 38 morts tués en tentant de gagner la RFA.
En ce début d'après-midi, le 17 août 1962, le jeune Peter Fechter, un maçon de 18 ans, sera la 39ème victime du "mur de la honte" qui avec lui méritera plus que jamais son surnom. Touché par une balle dans le no man's land qui séparait les deux parties de la ville, il agonise perdant son sang, personne, à l'Ouest comme à l'Est ne lui portant secours. Cinquante ans après, Berlin se souvient.
Un photographe perché au-dessus du mur côté Ouest photographie Peter Fechter.
Peter Fechter avait décidé avec son copain Helmut Kulbeik de passer à l'Ouest. Les deux jeunes gens avaient découvert une maison abandonnée près du poste frontière de Checkpoint Charlie au coeur de Berlin qui pourrait leur permettre de fuir.
Surpris, ils traversent en courant le no man's land. Helmut Kulbeik parvient à se hisser à temps par dessus le mur. Peter Fechter hésite un instant. Il est touché par le feu nourri des gardes-frontière est-allemands et reste allongé au pied du mur.
Le jeune homme est en vit mais perd son sang. Il hurle au secours. Des policiers de l'Ouest grimpent sur une échelle le long du mur mais n'osent pas lui venir en aide. Un officier américain en poste à Checkpoint Charlie, cent mètres plus loin, répond : "Not our problem". Des passants affluent qui scandent "assassins" par dessus le mur à l'adresse des soldats est-allemands. Les policiers retiennent ceux qui voudraient venir en aide au blessé.
Des policiers à l'Ouest assistent impuissants à l'agonie du blessé
Côté Est, les forces de l'ordre restent tout aussi inertes. Officiellement, elles se sentent menacées par leurs homologues de l'Ouest. Des recherches effectuées après la chute du mur montrent que la désorganisation et la confusion règnent.
Peter Fechter continue de se vider de son sang. Il ne crie plus mais son corps est secoué de tremblements. Des photographes et des caméramen enregistrent la scène tragique. Lorsqu'au bout de près d'une heure, les policiers est-allemands viennent chercher le corps et le transportent à l'hôpital, les médecins ne peuvent que constater la mort de Peter Fechter.
Les policiers est-allemands transportent la dépouille mortelle de Peter Fechter.
Cette mort tragique provoque de nombreuses protestations des Berlinois de l'Ouest. Contre le régime est-allemand bien sûr mais aussi contre les Soviétiques. Un convoi transportant des soldats de l'armée rouge pour les emmener au mémorial soviétique situé côté Ouest près de la porte de Brandebourg est agressé par la foule en colère. Pour éviter des incidents, la police à l'Ouest met en place des barrages pour empêcher la population d'approcher du mur ce qui pourrait dégénérer.
Mais aussi pour la première fois, les Berlinois de l'Ouest dénoncent les Alliés occidentaux à commencer par les Américains. Le quotidien populaire "Bild Zeitung" titre le lendemain : "Les policiers est-allemands laissent un jeune de 18 ans agoniser-les Américains ne font rien". Des banderolles hostiles aux Etats-unis sont brandies et rapidements confisquées par la police.Quelques personnes vont même porter plainte contre le général américain en poste à Berlin lui reprochant de ne rien avoir entrepris pour venir en aide à Peter Fechter. Certains demandent des armes au maire Willy Brandt pour prendre le mur d'assaut. D'autres jettent des pierres sur des GI's et leurs jeeps.
Willy Brandt devant la porte de Brandebourg (1958)
Le futur chancelier tente de calmer les esprits tout en comprenant la colère de ses administrés. Le gouvernement fédéral à Bonn affirme que la mort de Peter Fechter illustre la tragédie de la division de l'Allemagne et le côté inhumain du régime est-allemand. Mais le chancelier Adenauer n'adopte pas pour autant de mesures de rétorsion contre Berlin-Est.
La tragédie que signifie la mort de Peter Fechter et les réactions qu'elles suscitent conduisent Willy Brandt à plaider pour un nouveau cours, l'Ostpolitik. Marquée par le pragmatisme, cette stratégie consiste en une prise de distance d'avec des positions politiques bien ancrées excluant tout dialogue et tout compromis avec l'Est. "Le changement dans le rapprochement" devient à l'ordre du jour. Il faut essayer d'améliorer le quotidien des citoyens victimes de la division de Berlin. "Le bien de la ville est plus important que la haine contre le mur. Il doit disparaître mais avant d'en arriver là il nous faut vivre avec lui", déclare Willy Brandt. Une politique qui débouchera plus tard par différents progrés pour le passage des frontières (d'Ouest en Est s'entend) et plus globalement sur la politique de détente avec le bloc communiste après l'arrivée au pouvoir de Brandt à Bonn en 1969. Une politique que symbolise la photo du chancelier à genoux à Varsovie.
Willy Brandt tomba à genoux après avoir déposé une couronne devant le mémorial du ghetto juif de Varsovie en mémoire des victimes du nazisme. Il reçoit le prix Nobel de la Paix en 1971 pour couronner son Ostpolitik.
Cinquante ans après la mort tragique de Peter Fechter, Berlin se rappelle. Après la chute du mur, les garde-frontières est-allemands en poste ce jour là avaient été traduits en justice et condamnés en 1997 chacun à près de deux ans de prison avec sursis. Après la mort de Peter Fechter, ils avaient été recompensés par Berlin-Est et obtenu de l'avancement. La famille de la victime avait, elle, dû subir des représailles.
La stèle commémorant la mort de Peter Fechter dans la Zimmerstrasse là même où le jeune homme a été abattu en 1962.
Cinquante ans après les faits, de nombreuses voix réclament une reconnaissance plus importante de cette mort parmi les plus tragiques de celles survenues durant la division de la ville. Une rue pourrait être baptisée du nom de Peter Fechter, mais des exemples passés prouvent que ces procédures peuvent être laborieuses et faire l'objet malheureux de médiocres rivalités politiques.
1 Comments
Excellent article !! Merci beaucoup
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