Présidentielle: Stasi contre nazi

Le passé toujours et encore. Après la démission du président sortant, le chrétien-démocratre Christian Wulff, deux candidats s'affrontent dimanche pour sa succession : l'ex-pasteur et dissident est-allemand Joachim Gauck d'un côté; Beate Klarsfeld de l'autre qui a consacré sa vie à traquer d'anciens nazis.

Les derniers hôtes du château de Bellevue, la résidence officielle du président de la république allemand, à Berlin, ont surtout marqué leurs mandats par des thèmes contemporains : la mondialisation, le soutien aux valeurs démocratiques, la justice dans le monde ou l'intégration des immigrés.

Avec l'élection anticipée de ce dimanche, le passé de l'Allemagne avec les deux dictatures du vingtième siècle qu'a connues le pays figurera au premier plan. Et ce avec deux figures symbolisant la complexe histoire du pays.

Certes, l'issue du scrutin ne fait aucun doute. Joachim Gauck est soutenu par l'ensemble des partis à l'exception des néo-communistes et dispose au sein de l'assemblée qui se réunit dimanche d'un potentiel de 1100 voix sur 1240. Beate Klarsfeld, désignée précisément par les néo-communistes de Die Linke, ne peut en principe que compter sur le soutien des délégués de ce parti soit 124 personnes. Toute voix supplémentaire constituera un succès d'estime pour la "chasseuse de nazis".

La salle plénière du parlement doit acceuillir dimanche 1240 personnes au lieu de 620 députés habituellement. Il faut à toute vitesse réorganiser l'hémicyle.

Joachim Gauck est ce que les Allemands appellent un "Bürgerrechtler", une personne issue des "mouvements de citoyens" qui se sont constitué dans la période qui a précédé la chute du mur de Berlin. Le septuagénaire, né en 1940, était pasteur dans l'ex-RDA où l'Eglise évangélique disposait d'une modeste marge de manoeuvre et abritait -surtout à partir des années 80- des groupes en bisbille avec le régime (défenseurs de l'environnement, des libertés publiques, punks etc...). Joachim Gauck s'est engagé dans le mouvement "Nouveau Forum" pour lequel il sera candidat lors de la dernière et seule élection libre en RDA, celle du 18 mars 1990. Ironie de l'histoire, l'ex-Est-Allemand sera élu ce même jour, 22 ans après, président de l'Allemagne réunifiée. 

C'est avant même la réunification en octobre 1990 que Joachim Gauck est nommé à la tête de l'administration chargée de gérer les archives de la Stasi, l'ancienne police secrète est-allemande. Il dirigera durant dix ans cette structure qui sera vite rebaptisée "administration Gauck". L'Allemagne décide d'ouvrir largement les archives aux personnes qui ont été victimes de la Stasi. Par son verbe, par son passé et son intégrité, Joachim Gauck asseoit une autorité morale reconnue.

Le film "La vie des autres" sur la Stasi

 

Après la fin de son deuxième mandat, Joachim Gauck espère être sollicité pour jouer un rôle dans la vie politique mais les offres attendues n'arrivent pas. L'homme déprime, se livre à une introspection intérieure, commence une carrière qui ne s'est depuis pas arrêtée de "tonton prêcheur" livrant la bonne parole à ses ouailles souvent fascinées par le symbole qu'il représente.

En 2010, lorsque le président Horst Köhler jette l'éponge, la proposition venue des écologistes de soutenir une candidature Gauck est appuyée par les sociaux-démocrates. Il faudra quatre laborieux tours de scrutins à l'homme d'Angela Merkel, le pâlot Christian Wulff, pour être élu. Joachim Gauck obtient les voix de grands électeurs de droite, mais l'arithmétique politique aura finalement raison de sa candidature. 

30 juin 2010 : élection de Christian Wulff, le candidat d'Angela Merkel

 

 

L'ancien pasteur avait depuis repris son bâton de pélerin poursuivant sa carrière d'autorité morale de la nation. Les péripéties de la vie politique vont l'obliger à abandonner ces activités. Christian Wulff accusé de corruption a fini piteusement par démissionner. Angela Merkel mise sous pression par ses alliés libéraux se rallie finalement avec les Verts et les sociaux-démocrates à une candidature Gauck. L'intéressé qui vient d'atterrir à Berlin reçoit un appel de la chancelière dans son taxi. Angela Merkel lui demande s'il accepte d'être candidat. L'intéressé accepte. Il demande alors au chauffeur de "conduire le futur président de la république à la chancellerie".

Un petit parfum de guerre froide règne ce soir là autour de cette rencontre dominicale. Angela Merkel a invité tous les partis pour éovquer la succession du président démissionnaire à l'exception des néo-communistes de Die Linke. Les intéressés apprécient modestement et décident de désigner leur propre candidat. Après un cafouillage dû à des querelles au sein de la direction du parti, c'est finalement Beate Klarsfeld qui est présentée par le mouvement.

Beate Klarsfeld à côté du président du groupe parlementaire de Die Linke Gregor Gysi

 

L'objectif est clair. En présentant cette Berlinoise d'origine qui s'est fait un nom comme "chasseuse de nazis", Die Linke veut disposer d'une candidate forte d'une moralité au-dessus de tout soupçon et capable par son passé de rivaliser avec Joachim Gauck. Beate Klarsfeld s'est fait connaître dans le monde entier en novembre 1968 par une gifle qu'elle administre au chancelier conservateur de l'époque Kiesinger, un geste par lequel la jeune femme veut dénoncer le passé nazi du responsable politique.

Avec son mari Serge, Beate Klarsfeld installée en France depuis cinquante ans traque d'anciens nazis. Le cas le plus exemplaire de cette lutte incessante sera l'ancien "boucher de Lyon" Klaus Barbie qui finira par être livré par la Bolivie où il vivait depuis des décennies à la France en 1983 avant d'être jugé lors d'un procès historique.

Mais ce passé n'a jamais apporté à la franco-allemande dans son pays d'origine la reconnaissance qu'elle a obtenue ailleurs. Toutes les demandes formulées à plusieurs reprises de lui remettre la Bundesverdienstkreuz, la plus haute distinction de la RFA, ont toujours été rejettées.

 

 

Klaus Barbie après son arrestation.

 

 

 

 

Ces deux candidats symboles de la double histoire allemande du XXème siècle, ont remis ce passé sur le devant de la scène ces dernières semaines. Ces personnalités reconnues ont pourtant donné lieu à des polémiques montrant que leurs candidatures n'étaient pas à l'abri d'une certaine instrumentalisation.

On a ainsi vu des critiques se faire jour contre Joachim Gauck. D'anciens opposants au régime est-allemand lui ont reproché d'avoir été un pasteur somme toute peu constestaire et d'avoir pris le train du changement en route peu avant la chute du mur. Son engagement très prématuré pour la réunification alors que beaucoup de ses proches de l'époque prônaient une troisième voie entre socialisme et capitalisme peut expliquer ces accusations.

Certaines déclarations de Gauck ont été parfois présentées de façon tronquée à gauche pour dénoncer quelqu'un qui relativiserait l'holocauste, critiquerait le modèle multiculturel ou les mouvements anti-mondialisation. Il est vrai que Gauck se définit lui même comme "un libéral conservateur de gauche" et que son passé en fait avant un défenseur de la liberté et qu'il ne se laisse pas récupérer très facilement.

Cet esprit d'indépendance se retrouve aussi chez Beate Klarsfeld qui a ouvertement déclaré qu'elle aurait aimé être présentée par un autre parti que le Linkspartei (l'intéressé aura apprécié). Et l'annonce lors d'une conférence de presse de son soutien en France pour Nicolas Sarkozy aux côtés des dirigeants du parti de la gauche radicale faisait quelque peu désordre.

Beate Klarsfeld annonçant son soutien à Nicolas Sarkozy lors de la conférence de presse consacrée à l'annonce de sa candidature à la présidentielle allemande:
www.clubrfiberlin.net/wp-content/uploads/2012/03/beate.mp3

La presse conservatrice s'en est pris à la candidature de Beate Klarsfeld dénonçant les contacts de la "chasseuse de nazis" avec le régime est-allemand qui lui a fourni des informations. L'intéressée admet ces contacts affirmant que certaines archives du Troisième Reich se trouvaient sur le territoire de la RDA et qu'elles lui étaient utiles dans son travail. Le secrétaire général des conservateurs bavarois a jugé que Klarsfeld n'était qu'une "marionnette" du régime est-allemand. Son homologue à la CDU, le parti d'Angela Merkel, a jugé "indigne" la candidature de l'intéressée.

 

Joachim Gauck et Angela Merkel

 

 

Le vote de dimanche sera malgré ces polémiques sans surprise. Les Allemands ont eux fait leur choix. S'ils pouvaient élire dirctement leur président 61% opteraient pour Joachim Gauck contre 11% pour Beate Klarsfeld. 

L'Allemagne sera donc dirigée d'ici quelques jours par deux Est-Allemands, une fille de pasteur et un ancien pasteur. La bonne vieille Allemagne rhénane et catholique n'a qu'à bien se tenir. 

 

 

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2 Comments

J´aime le titre de cet article Est-ce les Allemands sont vraiement anti.nazi d´aprés ce sondage 61 contre 11 % . On Va voir diumanche si les representats du peuple seront anti nazi ou anti stasi.

tout est correct:et pourtant, la derniere phrase ouvrant des perspectives..
faut-il donc toujours pour la france," une bonne vielle allemagne"?
il y a une semaine,nous avions une femme chancelier!, et un jeune president, la bonne jeune allemagne..

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