"Un président des coeurs" pour les Allemands?

Une grande majorité des commentateurs mais aussi des Allemands souhaitaient son élection lors de la dernière présidentielle en juin 2010. Joachim Gauck, présenté initialement par les Verts et soutenu ensuite également par les sociaux-démocrates, avait dû à l'arrivée s'incliner face au candidat d'Angela Merkel.

Après la démission vendredi de l'intéréssé soupçonné de corruption, Gauck a été désigné et à toutes les chances d'être élu le 18 mars prochain. Engagé dans l'opposition au régime est-allemand, il avait dirigié après la chute du mur durant dix ans les archives de la Stasi, la police secrète de la RDA.

Joachim Gauck aux cötés d'Angela Merkel le 19 janvier 2012 (Photo: Reuters: Fabrizio Bensch)

C'est un tournant historique. Pour la première fois, un Est-Allemand va s'installer au château de Bellevue, le siège de la présidence de la république à Berlin.

En juin 2010, la "mangeuse d'hommes" Angela Merkel avait imposé Christian Wulff comme président de la république. Cet homme politique populaire qui aurait pu faire un jour de l'ombre à la chancelière accédait à la magistrature suprême avant tout représentative en Allemagne.

Certes avec sa femme sensiblement plus jeune Bettina et sa famille recomposée, ce chrétien-démocrate archétype du gendre idéal présentait bien. Une phrase restera sans doute de son court mandat de 21 mois, celle dans laquelle il avait estimé que "l'islam faisait partie de l'Allemagne", ce qui n'avait pas fait que des heureux chez ses amis conservateurs.

Durant l'année 2011, Christian Wulff aura été longtemps aux abonnés absents, s'abstenant de donner des impulsions à la vie politique. Et depuis deux mois, il était sous le feu roulant des critiques, accusé d'avoir bénéficié des avantages en nature de divers hommes d'affaires lorsqu'il dirigeait la région de Basse-Saxe. L'annonce par le parquet d'une demande de levée de son immunité aura eu raison de lui après plusieurs semaines durant lesquelles il s'est accroché vaille que vaille à son siège.

Retour à la case départ donc avec la nécessaire désignation d'un successeur. Angela Merkel annonce dès vendredi qu'elle tend la main à l'opposition. Mais la chancelière ne veut pas perdre la face et refuse le chouchou des sondages, à savoir Joachim Gauck. Un an et demi après, cela signifierait pour elle reconnaître qu'elle avait misé à l'époque sur le mauvais cheval. 

Mais plusieurs candidats consensuels refusent. Dimanche, Angela Merkel est roulée dans la farine par son allié libéral qui menace de faire imploser la coalition conservatrice au pouvoir. En soutenant Joachim Gauck, le mouvement en chute libre dans les sondages espère sans doute se refaire une "santé" en soutenant le candidat le plus populaire. Ce dernier bénéficie déjà de l'appui des sociaux-démocrates et des Verts, tout heureux de triompher un an et demi plus tard contre Merkel.

La chancelière s'incline. Lorsque dimanche soir, elle présente l'heureux élu -ou presque- encadré par les responsables des différents partis, elle doit faire contre mauvaise fortune bon coeur et lui rendre hommage.

La crise politique est donc évitée. Cependant Angela Merkel pourrait malgré cette sèvère défaite profiter à terme de la popularité de Gauck. Soutenu par 90% par les grands électeurs qui se réuniront le 18 mars prochain à Berlin, son élection sera une formatlité. Déjà, le quotidien conservateur "Frankfurter Allgemeine" table sur un deuxième mandat de ce candidat de consensus qui resterait donc dix ans en poste. 

L'Allemagne comptait déjà une Est-Allemande, fille de pasteur, à la chancellerie. La présidence de la république sera donc bientôt occupée par un ancien pasteur de l'ex-RDA engagé dans l'opposition au régime de l'époque. L'élection le 18 mars est aussi un symbole. C'est en effet le 18 mars 1990 qu'eurent lieu les premières et seules élections libres en Allemagne de l'Est.

Joachim Gauck est élu ce jour là pour "Nouveau forum" un nouveau parti regroupant des mouvements de citoyens qui ont préparé et accompagné le processus autour de la chute du mur. Avant la réunification, le 3 octobre 1990, l'ancien pasteur est nommé responsable des archives de l'ancienne police secrète est-allemande, la Stasi. Il restera dix ans à la tête d'une structure baptisée rapidement "administration Gauck" tant elle s'identifiait à cette personnalité.

L'Allemagne décide, contrairement à d'autres pays de l'ancien bloc soviétique, d'ouvir très largement l'accès à ces archives pour les personnes qui ont été victime de la police secrète est-allemande. Joachim Gauck se fait un nom par son intégrité morale, par son souci de défendre la vérité et la liberté en évitant les excès de certains rêvant de revanche.

Sans doute aurait-il pu être animé par de tels sentiments. Son père, officier, est arrêté en 1951 -son fils à neuf ans- officiellement pour espionnage et déporté en Sibérie pour quatre ans. Le jeune Joachim ne pourra pas étudier le journalisme comme il le souhaitait; il n'était pas membre des jeunesses communistes. Comme d'autres, c'est la théologie qui lui reste ouverte pour accéder à l'enseignement supérieur. Il devient pasteur au début des années 70 dans le Nord de la RDA d'où il est originaire. Il adopte dans les années 80 une attitude de plus en plus critique à l'égard du régime. L'Eglise protestante bénéficie d'une marge de manoeuvre modeste en RDA et abrite divers groupes opposés au régime.

A la fin des années 90, celui qui se définit comme un "conservateur libéral de gauche" est sollicité pour être le candidat des chrétiens-démocrates à la présidence de la république contre un social-démocrate. Il refuse. Après son départ de l'administration en charge des dossiers de la Stasi, Joachim Gauck s'investit dans la lutte contre le racisme et s'engage contre l'oubli face aux travers de l'ex-RDA.

Un peu plus de dix ans après, en 2010, les Verts le proposent comme candidat à la présidence de la république. Les sociaux-démocrates se rallient à cette proposition. Il a le soutien de l'opinion et d'une large partie des médias. Mais la raison politique s'impose et Joachim Gauck doit s'incliner au troisième tour de scrutin face à Christian Wulff.

Il sera donc sans grande surprise le onzième président allemand de l'après-guerre à compter du 18 mars prochain. Son charisme, son verbe, le respect qu'il impose, son intégrité convainquent beaucoup d'Allemands.

Dimanche soir, arrivé directement de l'aéroport suite à un appel d'Angela Merkel, il se dit "un peu dépassé et troublé" mais néanmoins "heureux que quelqu'un comme moi né durant une guerre terrible et qui a vécu cinquante ans sous une dictature" soit appelé à devenir chef de l'Etat.

Certes, cette personnalité reconnue et appréciée, n'a pas perdu de son aura comme le montrent les sondages. Cependant, sur le net, les voix critiques se font entendre. A gauche, d'aucuns n'ont pas apprécié les déclarations de Gauck critiquant le mouvement "Occupy" ou dans le passé son soutien aux reformes sociales aujourd'hui peu populaires du chancelier social-démocrate Schröder. Ses déclarations sur le livre polémique de l'ancien membre du directoire de la Bundesbank Thilo Sarrazin sur l'immigration ont également suscité des critiques. Joachim Gauck avait évoqué le courage de l'auteur.

Mais ces critiques à l'égard d'un candidat présenté par presque tous les partis à l'exception à gauche de Die Linke montrent en même temps que Joachim Gauck ne se veut pas l'homme d'un camp particulier et demeurera un esprit indépendant..

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