Merkelland ou la mort des vaches sacrées

A l'automne dernier, le gouvernement conservateur adoptait une loi prolongeant la durée d'utilisation des centrales nucléaires allemandes. Cette promesse au coeur du programme des chrétiens-démocrates et des libéraux un an auparavant est une des rares questions qui continuent à fortement polariser les esprits en Allemagne. La gauche qui avait fait adopter l'abandon du nucléaire d'ici le début de la prochaine décennie voyait son héritage remis en cause. Les anti-nucléaires reprenaient du poil de la bête mobilisant forterment leurs troupes.

Aujourd'hui, Angela Merkel après les accidents nucléaires au Japon opère un sensible virage sur l'aile avec un moratoire de trois mois et l'arrêt durant cette durée de sept réacteurs.

Une fois de plus, une des valeurs centrales scellant l'identité des chrétiens-démocrates allemands a du plomb dans l'aile. Les troupes conservatrices de la chancelière ont le tournis face à une nouvelle étape de la révolution culturelle merkelienne.

Il y a d'abord eu quelques révolutions coperniciennes sur des sujets de société sur lesquels la démocratie-chrétienne sclérosée d'Helmut Kohl fleurait bon la naphatline idéologique. Sous l'égide de la nouvelle patronne du parti, cette protestante de l'Est sans enfants qui a longtemps vécu en concubinage, la CDU s'est dépoussiérée. Le parti a jeté aux oubliettes de l'histoire des dogmes longtemps  gravés dans le marbre à des années lumière des réalités de la société. La CDU a ainsi  reconnu sur le tard que l'Allemagne était un pays d'immigration. Il suffisait pour cela pourtant de se promener de se promenerdans certains quartiers populaires ou dans les usines symboles du miracle économique d'après-guerre pour en être convaincu. 

Après son arrivée au pouvoir en 2005, Angela Merkel met sur pied une conférence sur l'islam et l'immigration avec les représentants des intéressés ce que la gauche n'avait pas fait.A l'automne dernier, le nouveau président de la république fait une sortie difficile à digérer notamment dans la Bavière profonde.  Christian Wulff, un fringant quinquagénaire divorcé et remarié avec une femme sensiblement plus jeune arborant un tatouage -inimaginable dans l'Allemagne coincée d'Adenauer comme la France de De Gaulle-, déclare que l'islam fait partie intégrante de l'Allemagne. Les conservateurs de la première heure ont du mal à déglutir et certains ne se privent de rappeler que les valeurs judéo-chrétiennes fondent avant tout la culture allemande. 

Récemment plusieurs responsables chrétiens-démocrates ont à l'inverse pris leur distance avec la doctrine vaticane et réclamé à l'Eglise catholique et à leur concitoyen Joseph Ratzinger de revenir notamment sur le célibat des prêtres. Angela Merkel, la fille de pasteur protestant, n'avait pas hésité à critiquer ouvertement le pape, une première inconcevable dans une démocratie-chrétienne très étroitement liée à l'Eglise catholique. 

Soucieuse de séduire les couches urbaines où le parti conservateur ne fait tradtionnellement pas un tabac, Angela Merkel a modernisé son mouvement en matière de politique familiale. Fini Bertha aux fournaux s'occupant des enfants en attendant que Max rentre du bureau. Avec l'ancienne ministre de la famille Ursula von der Leyen, mère active de sept enfants , l'Allemagne tente de mettre fin à un gâchis humain de longue haleine et s'efforce de rendre travail et vie familiale pour les femmes plus compatibles. 

La crise économique et financière qui a remis en cause les errements de l'économie de marché a vu Angela Merkel jeter par dessus bord une bonne partie des thèses libérales qu'elle avait défendues lors de sa première élection en 2005. 

Ces derniers mois, une autre vache sacrée de la démocratie-chrétienne était sacrifiée sur l'autel de la modernisation politique. Dans le cadre de la réforme des forces armées, la conscription est suspendue. Pour ne pas heurter les plus conservateurs attachés à cette institution, il ne s'agit officiellement pas d'une abrogation, mais cela revient dans les faits au même. 

Au passage, le ministre de la Défense, père de cette réforme historique, le baron Karl-Theodor zu Guttenberg était contraint à la démission. Les larges plagiats auxquels il s'est livré pour écrire sa thèse de droit constituent une autre gifle aux valeurs conservatrices et au code d'honneur régissant ces milieux, a fortiori la noblesse. Qu'un aristocrate héritier d'une famille remontant au Moyen-Age se laisse aller à de telles pratiques ébranle un peu plus les dogmes des conservateurs allemands.

Le nucléaire reste par les passions qu'il déchaîne depuis la fin des années 70 en Allemagne un des rares sujets clivants dans la vie politique germanique. La volonté du gouvernement alliant les chrétiens-démocrates et les libéraux depuis l'automne 2009 de prolonger la durée d'utilisation des 17 réacteurs allemands de 12 ans en moyenne -la majorité de gauche avait décidé de leur fermeture d'ici le début de la prochaine décennie- a polarisé le débat politique, mobilisant la gauche et les anti-nucléaires d'hier et d'aujourd'hui. 

En réagissant très vite après les accidents au Japon en annonçant un moratoire de trois mois sur la loi de l'automne dernier puis l'arrêt durant cette période de sept centrales, Angela Merkel a compris le tournant que constituait ces événements pour une opinion traditionnellement opposée au nucléaire, aujourd'hui plus que jamais. Au parlement jeudi, elle a même provoqué la colère de la gauche en affirmant qu'avec elle le début de la fin du nucléaire prenait forme plus rapidement. 

Certes les sondages montrent que les Allemands voient surtout dans la décision d'Angela Merkel une tactique électorale. Mais il n'empêche: même si l'opposition s'époumonne pour critiquer une décision de façade, il fait peu de doute que les sept réacteurs concernés ne reprendront pas du service après la fin du moratoire de trois mois. 

Cette autre vache sacrée donnera-t-elle le coup de grâce aux chrétiens-démocrates dont une des dernières différences programmatiques avec la gauche bat de l'aile? Les politologues estiment que les électeurs conservateurs déboussolés pourraient bouder les scrutins à venir irrités par la révolution merkelienne. Pour l'instant, aucun parti à droite de la CDU ne se profile pour occuper le terrain que le recentrage sensible de la chancelière laisse vide. La stratégie d'Angela Merkel, gagner les couches urbaines plus jeunes et plus dynamiques, va-t-elle compenser les irritations de ses troupes traditionnelles pour lui permettre de grignoter un peu plus de voix au centre voire plus à gauche ? A voir. Les différences entre les deux camps s'estompent un peu plus. Une des dernières reste peut-être la compétence économique que les électeurs continuent plutôt de voir chez les conservateurs. . 

 

 

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