Sur la cinquantaine de manifestations que l'association organise chaque année, la rencontre avec Angela Merkel est indiscutablement la plus prisée. Cette année, record battu: 190 collègues soit près de la moitié de nos membres se sont inscrits; à l'arrivée environ 140 étaient présents dans la salle de conférence de la chancellerie. 

Les accrédités montrent patte blanche; les autres sont contrôlés en amont par les services compétents. La chancellerie veut visiblement éviter des hôtes indésirables. Avant de rentrer dans "la machine à laver" -le surnom donné par les Berlinois toujours très inventifs en la matière au bâtiment-, d'autres contrôles genre aéroport s'imposent. Après l'entrée dans le saint des saints, un ballet de messieurs cravatés dirige le visiteur jusqu'à sa destination, histoire d'éviter que d'aucuns s'égarent plus ou moins volontairement dans la gigantesque chancellerie.

La salle de conférences affiche complet. Elle est d'habitude boudée par Angela Merkel qui tient ses points de presse dans un hall de la chancellerie qui à l'avantage d'être à côté de l'ascenseur qui mène à son bureau. Les journalistes doivent faire avec ce camping pas toujours très confortable. 

Retour à la salle de conférences où les collègues ont pris place en attendant l'arrivée d'Angie. Je me poste devant la porte avec mon collègue du bureau de l'association pour attendre notre hôtesse. Un maître de cérémonies règle la mise en scène. Mais dans ce bâtiment moderne achevé il y a un peu plus de dix ans, les laquais et les dorures des palais parisiens laissent la place au fonctionnel en vert pastel.

Ponctuelle, Angela arrive. A ses côtés, son porte-parole Ulrich Wilhelm, un blond Bavarois surnommé par la presse populaire germanique "le Robert Redford allemand". Poignées de main, rapides présentations, échanges brefs sur le déroulement des soixante minutes qui nous sont imparties.

Les collègues de la télé et les photographes ont le droit de tourner ou prendre quelques images avant de plier bagages. Angela Merkel contrôle discrètement mais avec autorité les images qui la concernent. Pourquoi nos collègues télé ne peuvent-ils pas tourner la rencontre? La réponse ne nous a toujours pas convaincu. Au moins cette année, les pourparlers laborieux pour permettre d'enregistrer la discussion nous ont été épargnés. 

Le show peut commencer Angela renverse sa bouteille d'eau. Je lui allume son micro qu'elle avait oublié. Les choses sérieuses peuvent commencer. Mais quand 140 collègues veulent poser leurs questions, toutes plus importantes les unes que les autres, le tout en soixante minutes, l'exercice ressemble parfois à un numéro de cirque avec le dresseur dans sa cage face à ses fauves plus ou moins bien lunés. 

Bon, la dernière édition s'est passée sans anicroches. Des collègues frustrés de ne pas avoir poser leur question du siècle ne sont pas venus se plaindre après; les réponses assez brèves ont permis à un grand nombre d'avoir la parole. 

On a même ri. Angela Merkel a un humour à la britannique et une petite remarque ironique bien placée percute souvent. Par exemple quand un collègue bien européen sous tous rapports se présente comme un représentant d'un média japonais. La chancelière commente succinctement: "ça ne m'avait pas frappé". L'intéressé n'était pas plus japonais que moi mais un collaborateur allemand d'un collègue nippon dont la maîtrise de la langue de Goethe reste balbutiante.

Soixante minutes plus tard, Angie me glisse discrètement : "Bon encore une question et il va falloir conclure". Difficile de ne pas s'éxécuter face à la femme la plus puissante du monde.