Madame Non, Miss Europe et le "diktat allemand"

Pendant des mois, Angela Merkel a été critiqué, notamment en France, en raison de ses atermoiements face à la crise de la dette. Aujourd'hui, la chancelière est passée à l'offensive pour tirer l'Europe de l'ornière. Certains voient déjà l'Europe allemande s'imposer sur le vieux continent. Tentative d'explication.

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à Bruxelles le 24 octobre

REUTERS/Thierry Roge
 

Modeste, comme à son habitude, Angela Merkel a laissé Nicolas Sarkozy prendre en premier la parole dans la nuit de mercredi à jeudi pour présenter les résultats du sommet de Bruxelles. Le président français, fidèle à son style, évoque emphatique des décisions historiques. Angela Merkel, toujours business as usual, prend ensuite la parole et déclare beaucoup moins lyrique "Je suis très satisfaite des résultats du sommet".

Deux styles aux antipodes s'illustrent dans cette conférence de presse. Mais la retenue d'Angela Merkel n'a visiblement pas convaincu tout le monde en France où certains parlent avec effroi d'une Europe allemande estimant que Berlin impose ses règles et son diktat au reste du vieux continent. Les rédactions parisiennes veulent en permanence compter les points et savoir qui d'Angie ou de Sarkozy en a marqué le plus, ou laissé le plus de plumes dans un combat où des égos nationaux s'affronteraient. S'interroger sur le point de savoir si l'Europe a progressé ou non ne s'impose pas à tout le monde.

Cela témoigne d'un état d'esprit encore présent en France où l'Europe a longtemps été considérée comme une plateforme -ou un levier pour reprendre le mot du moment- pour imposer des solutions françaises moins que pour faire avancer l'Union. 

Il n'est pas interdit de s'interroger sur la pertinence des solutions proposées et de leur inspiration. Mais certaines réactions en France traduisent me semble-t-il un ego quelque peu froissé, un leadership politique traditionnel étant remis en cause. 

Pendant que certains évoquent dans l'hexagone une Europe allemande, le triomphalisme n'est pas de mise en Allemagne. La satisfaction ambiante après le sommet de Bruxelles est plus perçue comme une avancée positive pour l'Europe que pour des idées  allemandes imposées au forceps. 

Comme souvent, l'Allemagne irrite lorsqu'elle hésite comme l'ont montré les critiques en partie justifiées contre les atermoiements d'Angela Merkel au début de la crise actuelle. Mais lorsque Berlin reprend l'offensive, de vieux ressentiments que la langue de bois de  l'amitié franco-allemande font passer à l'arrière-plan reprennent le dessus dans certaines déclarations.

Angela Merkel a compris cet été au plus tard qu'il fallait plus d'Europe et donc plus d'intégration pour résoudre les problèmes actuels et éviter qu'ils ne se reproduisent à l'avenir. Son parti, la démocratie-chrétienne, a préparé un texte sur l'Europe pour son prochain congrès où les idées fédéralistes transparaissent clairement. La ministre des affaires sociales, Ursula von der Leyen, qui s'est régulièrement exprimé sur le dossier ces dernières semaines a même parlé des Etats-Unis d'Europe. On est donc loin de l'hostilité d'une large majorité de la population allemande aux aides aux pays en difficulté.

Le magazine "Stern" dans son édition internet titre ce vendredi sur "la chancelière AAA" et "Miss Europa". Il se demande si Merkel va réussir à parachever l'héritage européen de son père en politique Helmut Kohl et à sauver l'Europe.

Il est vrai que même si certaines positions restent discutables -notamment une orthodoxie monétaire trop rigide-, l'Allemagne parait mieux armée pour effectuer ce saut fédéral. L'Europe a depuis la guerre toujours été pour le pays un ersatz à une idée nationale ruinée par les Nazis. Et puis le modèle institutionnel allemand va dans ce sens. A défaut d'un parlement européen trop absent comme instrument de légitimation démocratique des conciliabules bruxellois, c'est le Bundestag mercredi qui a joué ce rôle. La chancelière a sollicité son approbation et un mandat avant d'aller rencontrer ses partenaires. L'assemblée nationale française ne peut pas en dire autant. Nicolas Sarkozy a expliqué après coup à ses concitoyens ce qui avait été décidé sur deux chaînes de télévision fidèle à l'esprit de la cinquième République. Un modèle dépassé et qui ne peut servir de fondement à une Europe plus unie. Le titre du quotidien conservateur "Frankfurter Allgemeine Zeitung" peu suspect de gauchisme révolutionnaire n'est pas tendre aujourd'hui: "Moi Tarzan, toi spectateur".

Et puis d'un point de vue plus stratégique, la RFA parait aujourd'hui le seul pays de poids en mesure de faire avancer l'Europe. "Qui sinon l'Allemagne?" titre ce vendredi le quotidien de centre-gauche "Süddeutsche Zeitung" peu suspect de nationalisme exacerbé. L'Italie et l'Espagne sont confrontés à des difficultés économiques et financières importantes et leurs gouvernements sont en fin de course. La Grande-Bretagne n'appartient pas à la zone Euro. Et le quotidien de rappeler que la France n'a pas effectué des modernisations comparables à celles de l'Allemagne ces dernières années et doit assainir ses finances publiques et n'a de ce fait pas les marges de manoeuvres suffisantes pour exercer une leadership politique.

Certes certains commentaires en Allemagne franchissent la ligne rouge et soulignent un peu trop le fait que Berlin ait imposé ses vues. Mais d'autres comprennent aussi les appréhensions que suscitent cet état de fait à l'étranger. L'Europe n'a pas encore la même vision lyrique que celle de Theo Waigel, l'ancien ministre des Finances d'Helmut Kohl qui déclarait récemment : "L'Allemagne peut peut-être aujourd'hui pour la première fois rendre à l'Europe ce que celle-ci lui a offert après avoir déclenché deux guerres mondiales".

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